Les précédentes parties de ce texte du Révérend Fujiwara Ryoestsu sont ici :
Notions préliminaires
le Bouddha Amida
la fonction du nom
la relation entre le nom et le vœu
V. La nature de la foi
1. Qu'est-ce que la foi ?
- Dans le Jōdo-Shinshū, la foi est particulièrement mise en valeur
comme l'aspect le plus important de son enseignement. Parmi les
diverses interprétations de Shinran, son analyse psychologique
définit la foi comme « absence de doute », « mental indivisé », «
cœur unique » ou « abandon de tout son cœur ».
2. Où la foi est-elle proclamée dans les Ecritures du Shinshū ?
- De multiples mentions en sont faites dans les Ecritures. Parmi
elles, le Shinshū retient tout particulièrement celle qui se trouve
dans le 18 e vœu. Ce vœu déclare : « ... d'un cœur sincère et d'une
foi réjouie, désirent naître ... ». Le cœur sincère (shishin ), la
foi réjouie (shingyō) et le désir de la naissance (yokushō)
sont habituellement désignés comme les trois cœurs (sanshin)
du 18 e vœu. Bien que nommés séparément, ils ne sont que
des aspects différents d'une seule foi concrète. Ainsi, selon
Shinran, ces trois cœurs peuvent être représentés par le cœur
unique ou la foi réjouie. Lorsqu'ils sont représentés par la seule foi
réjouie, le cœur sincère et le désir de naître y sont impliqués
comme constituant son essence et lui donnant tout son sens.
3. Pourquoi est-il nécessaire de souligner le cœur unique, et d'où
le terme provient-il ?
- C'est Vasubandhu, 2 e des Sept Religieux Eminents, qui a utilisé
pour la première fois la désignation « cœur unique » (isshin)
pour exprimer la foi de tout cœur dans le Buddha Amida 34 . Shinran
admirait cet usage de Vasubandhu comme un moyen excellent
pour faire comprendre facilement la foi au commun des mortels.
4. Si le cœur unique est plus facile à comprendre, pourquoi Amida
a-t-il proclamé les trois cœurs dans son 18 e vœu ?
- Shinran a fourni une explication détaillée de cette question dans
le volume sur la foi de son Kyōgyōshinshō35. Selon cette
explication, les trois cœurs constituent simultanément le cœur
unique : le cœur unique est utilisé pour montrer la facilité et
l'unicité de notre foi en Amida; tandis que les trois cœurs sont
utilisés pour révéler l'essence et l'origine de cette foi unique telle
que nous l'expérimentons.
5. Quelle est l'interprétation de ces trois cœurs par Shinran ?
- Dans le 18 e vœu, tous les êtres sont apparemment encouragés à
obtenir les trois cœurs comme cause de la naissance dans la Terre
pure d'Amida. Ainsi, par exemple, il semblerait très raisonnable
que les êtres aient eux-mêmes le cœur sincère comme condition de
la naissance dans la Terre pure.
Cependant, Shinran réalisa qu'on ne peut espérer une telle
sincérité, aussi parfaite et absolue, de la part du commun des
mortels. De plus, jugeant de la nature du vœu, il comprit que la
compassion d'Amida ne requérait pas des exigences aussi
impossibles de la part du commun des mortels pauvrement doués.
Shinran en conclut donc que le cœur sincère du 18 e vœu ne
constitue pas une condition requise par Amida pour notre
naissance dans sa Terre pure, mais, bien plutôt, le cœur sincère du
Buddha Amida lui-même, avec lequel il acheva son vœu et établit
sa Terre pure. Il apparaît donc que le cœur sincère mentionné plus
haut est, en réalité, un don du Buddha Amida. De la même manière,
la foi réjouie fut interprétée par Shinran comme la conviction
entretenue par Amida qu'il délivrerait tous les êtres, tandis que le
désir de naître en sa Terre constitue l'appel lancé par la
compassion d'Amida pour les convaincre de sa Terre pure.
Ainsi, les trois cœurs sont tous attribués au mérite d'Amida, qui
les transfère (ekō , pariṇāma) à tous les êtres comme étant la
foi véritable condensée dans le cœur unique. C'est pourquoi
Shinran lisait les caractères chinois pour « cœur de foi » (shinjin
??) dans une lecture japonaise signifiant « cœur de vérité »
(makoto no kokoro), tout en interprétant la foi comme « la foi du
Pouvoir autre » (tariki no shinjin).
6. Que signifie « la foi du Pouvoir autre » ?
- Dans le Kyōgyōshinshō, Shinran explique que le Pouvoir autre
est « le pouvoir du vœu primordial du Venu-de-l’ainsité » 36 .
A partir de cette explication, la foi du Pouvoir autre peut être
comprise comme étant la foi transférée par la bienveillance du 18 e
vœu d'Amida. Ces implications et interprétations de la foi sont des
caractéristiques uniques de l'enseignement du Shinshū.
7. Quelle est la fonction de la foi ?
- La foi est la vraie cause (shinjin shōin) pour aller
naître dans la Terre pure et atteindre le nirvāṇa. Shinran a
fortement souligné les mérites de la foi sur ce point particulier.
8. Pourquoi la foi peut-elle être la cause de la naissance dans la
Terre pure et du nirvāṇa ?
- La foi s'éveille lorsque nous recevons le cœur sincère de la
compassion d'Amida. A ce moment-là, ses mérites absolus
deviennent les nôtres à travers son saint nom « Namo Amida Butsu
» et ils nous assurent l'état suprême du nirvāṇa.
9. Si les mérites du Buddha Amida produisent notre éveil, cela
apparaît en contradiction avec la théorie bouddhique de « telle
cause, tel effet ». Quelle est la relation entre la loi de causalité et
la délivrance par Amida ?
- La délivrance par Amida s'accorde avec les idées fondamentales
du bouddhisme du Grand Véhicule, telles les « activités de
compassion », le « bienfait altruiste », le « transfert des mérites »,
etc.; et il est certain que ces activités s'inscrivent dans le cadre de
la loi de cause à effet. Amida a accompli le nom à notre intention
comme le germe décisif du nirvāṇa. Si le nom ne nous était pas
transféré et que nous soyons quand même amenés à l'état de
buddha, alors la délivrance par Amida constituerait un miracle
transgressant la loi de causalité. Cependant, la réalité est que les
purs mérites d'Amida sont recueillis en nous-mêmes par la foi et
deviennent notre cause propre pour produire ce résultat qu'est
l'éveil. Cela ne s'oppose donc pas à la loi de « telle cause, tel effet
».
10. Pourquoi le Shinshū n'enseigne-t-il pas un miracle ?
- Le Buddha Amida est la manifestation de la nature de la Loi
ultime elle-même (sup. II-12). Et les théories de la causalité, de
l’interdépendance de tout ce qui existe, du vide, de
l'impermanence, de l'absence d'âme, etc., sont les vérités les plus
fondamentales de l'univers expliquées par le bouddhisme. Si
Amida produisait un miracle contraire à la loi de causalité, cela
signifierait la mort d'Amida lui-même.
11. Si la foi est la vraie cause, n'y a-t-il pas quelque autre pratique
nécessaire pour la délivrance ?
- Selon le Shinshū, aucune autre pratique n'est requise.
Le Tannishō (ch. 1) en explique la raison : « Lorsque nous avons
foi dans le vœu primordial, il n'y a pas d'autre bien qui importe,
parce qu'il n'y a pas de bien qui surpasse le nembutsu; ni de mal à
craindre, parce qu'il n'y a pas de mal qui soit en mesure d'entraver
le vœu primordial d'Amida. »
Le Kyōgyōshinshō déclare également, dans le volume de la foi : «
La vraie cause du nirvāṇa est la foi seule. » 37
12. Quelle est la signification de « la double foi profonde »
(nishu-jinshin) enseignée par Shandao ? 38
- Cet enseignement sert à démontrer la double conviction contenue
dans la foi du Shinshū. Cette double conviction consiste en :
a) la conviction profonde que nous ne sommes que des mortels
ordinaires, remplis de fautes, ayant passé en de nombreuses
existences illusoires depuis un lointain passé, sans espoir de nous
délivrer par nous-mêmes et, donc, destinés aux enfers 39 ;
b) la conviction profonde que les quarante-huit vœux du
Buddha Amida nous délivreront sans aucune discrimination, et
que ceux qui ont foi en ses vœux iront infailliblement naître dans
sa Terre pure 40 .
La première conviction est une profonde introspection dans la
nature humaine telle qu'elle est; la seconde constitue un abandon
de tout cœur à la compassion d'Amida qui n'oublie personne.
13. Comment les deux sont-elles reliées l'une à l'autre ?
- Ce sont deux attributs de la foi concrète du Shinshū, qui est une;
elles ne peuvent être séparées.
14. S'éveillent-elles simultanément ou l'une après l'autre ? Par le
pouvoir personnel ou par le Pouvoir autre ?
- Elles s'éveillent simultanément. Quant à l'introspection de la
première conviction, elle n'est pas parfaite si elle n'est effectuée
que par le pouvoir personnel. C'est seulement à travers la seconde
conviction, un abandon de tout cœur à la compassion d'Amida, que
l'on peut parvenir à une véritable pénétration de la nature humaine
telle qu'elle est. Ces deux convictions sont donc éveillées par le
Pouvoir autre; elles sont les deux attributs vitaux de la foi concrète
du Shinshū.
15. La seconde conviction concernant le vœu d'Amida peut
continuer pour toujours; mais qu'en est-il de la conviction que
nous ne sommes que des mortels ordinaires, remplis de fautes et
destinés aux enfers ?
- Elle dure jusqu'à la fin de notre vie, parce que la nature humaine
en tant que telle ne change pas, même après l'éveil de la foi; tout
comme une pierre demeure une pierre même après avoir été
embarquée sur un bateau. Le seul changement après l'éveil de la
foi, c’est que, éclairés par la lumière d'Amida, nous devenons plus
conscients de nos propres fautes et exprimons nos sentiments de
regret et de gratitude à travers le nembutsu.
_________________________________________
34 Traité sur la Terre pure (v. Ducor, Terre pure, Zen et autorité, p. 87-88).
35 Ch. III-19-50 (CWS, p. 94-107).
36 « Nyorai no hongan-riki » ; Kyōgyōshinshō, ch. II-81 (CWS,
p. 57).
37 Ch. III-1 (CWS, p. 79).
38 V. son Commentaire (vol. 4), cité dans le Senjakushū (Le Gué,
p. 123-124) et le Kyōgyōshinshō (ch. III-13; CWS, p. 85).
39 Ce premier aspect est dénommé foi envers le mobile (shinki ); ce «
mobile » n'est autre que les êtres dans la souffrance, qui ont motivé le vœu
d'Amida.
40 Ce second aspect est dénommé foi envers la Loi (shinbō ); la « Loi »,
c’est le vœu d'Amida transmis par Śākyamuni et attesté par tous les Buddha.
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